Cette année, le groupe-ressources d’employés immigrants/réfugiés de Randstad Canada a organisé une table ronde sur l'expérience des immigrants/réfugiés dans l'accès à l'emploi au Canada. Nous avons eu la chance de faire la connaissance d'Afreina Noor, fondatrice d'Afreno Areno (entreprise de services aux produits numériques), vice-présidente du conseil d'administration du Centre des organismes communautaires et responsable des communications de la Quebec Writers' Federation.
Afreina Noor a immigré à Montréal vers la fin de l'année 2018. Pakistanaise d'origine, elle a grandi au Botswana et a également vécu aux États-Unis. Le Canada étant son quatrième pays, elle n'avait pas prévu que le déménagement serait aussi difficile qu'il l'a été. Passionnée par les droits des femmes et constatant qu'elle n'était pas la seule nouvelle immigrante à se sentir désemparée et perdue, elle a récemment lancé une série d’événements virtuels « Conversations avec des femmes immigrantes à Montréal » tout en s'impliquant activement en tant que modératrice de « Women Who Freelance Montreal », un groupe de réseautage Facebook en pleine expansion.
Nous avons rencontré Afreina pour discuter d'un sujet important : l'intersectionnalité et le rôle qu'elle joue sur le marché de l'emploi.
afreina, pouvez-vous expliquer en quelques mots ce qu'est l'intersectionnalité et comment elle vous touche plus particulièrement ?
En fait, j'ai l'impression que lorsqu'on parle de diversité, on oublie souvent l'intersectionnalité. Pour moi, c'est la combinaison de la race, du genre, de la culture, de la religion - vous pouvez être n'importe où dans le monde et ces facteurs seront utilisés soit en votre faveur, soit contre vous. La plupart du temps, ces facteurs, comme la race et le genre, sont hors de votre contrôle. Si vous êtes une personne racisée, une musulmane et une femme portant le voile, en vous voyant les gens vous mettent immédiatement mise dans une case. Et ce jugement vous prive de ce la richesse que vous apportez : vos qualifications, votre formation et votre expérience. Si nous pouvions apprécier les gens au-delà de ce que nous voyons, l'intersectionnalité serait un grand avantage.
vous avez vécu dans quatre pays. comment avez-vous vécu l'intersectionnalité au canada, par opposition aux états-unis, au botswana et au pakistan ?
Par rapport aux pays occidentaux, au Pakistan, une femme qui se couvre la tête, par exemple, est perçue de manière plus positive qu'une femme qui ne le fait pas, même si elle est toujours désavantagée par rapport à un homme. En tant que personne "brune", au Botswana, j'étais traitée différemment d'une personne à la peau plus foncée : plus votre peau est blanche, plus vous bénéficiez de privilèges.
Pendant mes études aux États-Unis, je vivais sur un campus très libéral, donc je n'avais pas l'impression qu'il y avait beaucoup de discrimination, à l'exception d'un ou deux cas où je me suis placée dans un environnement spécifique, comme la convention nationale républicaine, où j'étais probablement la seule personne brune. Quelqu'un est venu me voir et m'a demandé : « Êtes-vous perdu ? » Les Américains ne vous laissent pas douter, et ils vous disent directement ce qu’ils pensent, ce qui, à mon avis, est la meilleure des deux options : se demander si vous êtes victime de racisme ou savoir que vous l'êtes réellement.
Mais c'était une expérience complètement différente quand j'ai déménagé ici à Montréal. Dans certaines situations, j'ai été instantanément “profilée” et catégorisée, certaines personnes étaient impolies avec moi sans raison. Je me demandais souvent : « Ai-je dit quelque chose que je n'aurais pas dû dire ? Est-ce que c'est parce que je parle anglais (et non français) ? » Je doutais beaucoup de moi-même. En rencontrant d'autres personnes, j'ai réalisé : non, ce n'était pas parce que je parlais anglais, et ce n'était pas à cause de la façon dont j'étais habillée ; c'était simplement parce que je suis une femme brune. Et que certaines personnes n'aiment tout simplement pas les immigrants.
Alors que je cherchais un emploi, on m'a dit d’effacer mon nom, les endroits où j'avais étudié et travaillé, ou de me donner un nom français. Et, pour moi, ce sont toutes ces choses qui font la richesse de mon CV. J'ai entendu des choses comme « Ne mettez pas trop de réalisations, vous donnez l'impression d'être trop qualifiée pour des postes ». Mais, pour moi, cela signifiait que si je devais me rapetisser, ce n'était pas une organisation dont je voulais faire partie. Ils doivent accepter toute la richesse que j'apporte.
vous avez une grande expérience en gestion de projets, innovation et recherche. devenir entrepreneure faisait-il partie de votre plan de carrière lorsque vous avez déménagé au canada ?
Je me considère comme généraliste et je pensais que toutes mes compétences étaient facilement transférables. J'ai intentionnellement diversifié mon CV au fil des années. Et je ne pensais pas devenir une entrepreneure parce que je savais que c'était difficile : trouver des gens qui sont prêts à payer pour vos services n'est pas facile. Mais on m'a en quelque sorte poussé à devenir entrepreneure, et c'est peut-être le coup de pouce dont j'avais besoin.
vivez-vous l'intersectionnalité différemment maintenant que vous travaillez à votre compte ?
C'est surprenant, mais dans ce sens, être entrepreneure est plus facile. Quand vous voulez travailler pour une organisation, vous devez convaincre non seulement la personne responsable de l'embauche, mais aussi cinq autres personnes de vous embaucher. Au Québec, j'avais aussi l'impression que le tout premier point de contact avec moi - mon CV - était déjà filtré et éliminé. Lorsque vous convainquez quelqu'un d'acheter vos services, c'est aussi à vous de choisir qui vous voulez approcher. Avant même de commencer à travailler avec moi, les clients auront vu mon profil, mon travail, ils auront vu que je suis une femme de couleur sur Facebook ou LinkedIn. Ils savent donc avec qui ils vont interagir. Dans un sens, c'est libérateur : si je ne ressens pas cette ouverture, je peux facilement dire que ce n'est pas le partenariat que je recherche. Je me sens plus autonome. Dans une organisation, il faut tout simplement ffaire avec.
Ce que j'ai appris de cette expérience, c'est que nous devons aborder notre travail comme si nous étions des consultants, comme si l'entreprise engageait nos services. J'envisagerais probablement la recherche d'emploi de manière très différente aujourd'hui. Je ne regarderais pas un poste vacant en disant : « Oui, je peux faire ça ! » Au lieu de cela, je regarderais d'abord l'organisation en me demandant : « Est-ce que c'est un endroit où j'ai envie de travailler ? »
sachant ce que vous savez maintenant, envisageriez-vous de retourner travailler pour une entreprise ? si oui, quel type d'entreprise pourrait vous faire changer d'avis et vous faire postuler ?
En fait, je travaille également à temps plein pour une organisation à but non lucratif en ce moment. Lorsqu'on m'a proposé cette opportunité, j'ai d'abord fait des recherches sur cette entreprise. La Quebec Writers' Federation répondait à mes valeurs fondamentales : c'est un lieu pour les immigrants, un lieu où les personnes qui ne parlent pas français peuvent trouver des ateliers et des opportunités dans le domaine des arts. Ils redonnent une voix pour les minorités. C'est pourquoi c'est plus qu'un emploi pour moi.
donc, cette ouverture aux immigrants et à la diversité était en fait l'une des premières considérations de votre liste ?
Absolument ! Nous avons récemment organisé des événements sur la fierté, ainsi que sur l’Israël et la Palestine. Le simple fait de voir qu'il existe une plateforme pour avoir ces conversations engageantes sur des questions importantes fait que c'est plus qu'une simple organisation pour les écrivains anglophones du Québec.
vous dirigez également une série d’événements virtuels « conversations avec des femmes immigrantes à montréal » et facilitez le groupe « women who freelance montreal » sur les médias sociaux. pouvez-vous nous parlez de l’expérience des membres de ce groupe intersectionnel avec l'accès au marché du travail canadien ? constatez-vous des tendances ?
Lorsque j'ai lancé « Conversations avec des femmes immigrantes à Montréal », j'ai entendu d'autres femmes de couleur dire que cela leur a pris beaucoup plus de temps qu'elles n'auraient pu penser pour trouver un emploi. Certaines femmes ont dit qu'elles avaient dû “se rétrécir” : si elles avaient deux diplômes, elles ont dû en éliminer un de leur CV, se montrer moins éduquées. L'expérience est différente pour une femme blanche et pour une femme racisée. Les femmes blanches auxquelles j'ai parlé n'avaient aucun de ces problèmes : l'intégration s'est faite sans heurts pour elles, même si elles ne parlaient pas français.
Maintenant que je travaille pour une ONG, je suis également exposée à de nombreuses autres organisations. J'ai l'impression que plusieurs d’entre elles mettent l'accent sur la diversité et l'inclusion, et j'aime beaucoup cela. Lorsque les candidats voient ces organisations, ils s'y reconnaissent. Avant, j'avais l'impression que certaines organisations se souciaient moins du travail et des compétences que du fait d’engager quelqu'un qui leur ressemble et qui parle comme elles.
quel conseil donneriez-vous aux organisations qui cherchent à attirer des talents diversifiés, notamment des immigrants ?
Tout d’abord, il ne s’agit pas de recruter la diversité par charité. Il s'agit d'embaucher la meilleure personne, d'où qu'elle vienne. Nous voyons déjà certaines organisations dire qu'elles sont un employeur offrant l'égalité des chances, mais si elles ajoutaient aussi « nous encourageons les immigrants à postuler », cela indiquerait que même si une personne n'a pas toujours d’expérience canadienne, l'entreprise reconnaît son expérience acquise dans un autre pays. Le fait d'ajouter un seul mot - « immigrants » - incitera certainement un plus grand nombre d'entre eux à postuler. Il est très facile pour les immigrants de se décourager au cours des six premiers mois de leur arrivée en se disant : « Oh, mais je n'ai pas d'expérience canadienne ». L'estime de soi se dégrade et la confiance en soi commence à s'effriter.
même si vous avez déjà donné quelques conseils, y en a-t-il un dernier que vous aimeriez donner aux immigrants à la recherche d'un emploi ?
Il est facile de se décourager et de rester chez soi, car on n'a pas vraiment de raison de sortir. Les ressources sont toujours éparpillées. Et si vous êtes nouveau au Canada, vous ne connaissez pas les différentes ressources qui peuvent vous aider. Il m'a fallu un an pour m'en rendre compte ! Lorsque vous vous lancez, soyez conscients que vous recevez plus de « non » que de « oui » au début. Quand on est immigrant, on n'a pas de réseau. C'est la partie la plus difficile de l'expérience.
Alors, mon plus grand conseil serait de réseauter ! Le COVID a joué en ma faveur dans la mesure où il y avait de nombreux groupes de réseautage en ligne. S'ils étaient en personne, je ne suis pas sûre que je serais en mesure de participer à tous ces groupes. Par exemple, vous pouvez participer à des événements mensuels de LinkedIn local, disponibles en anglais et en français. C'est une formidable opportunité de réseautage, mais aussi un moyen de pratiquer vos compétences linguistiques.
Avant la pandémie, lorsque vous demandiez à rencontrer quelqu'un pour un café, vous deviez faire tout un plan. Aujourd'hui, les gens sont beaucoup plus ouverts à vous accorder une partie de leur temps en ligne. D'après mon expérience, le simple fait de parler aux gens mène à une autre personne ou à une ressource. Il en ressort toujours quelque chose d'utile ! Les gens sont plus ouverts à une conversation qu'à un appel du type « trouvez-moi un emploi ». Vous pouvez simplement entamer une conversation en disant : « Comment vous êtes arrivé(e) là où vous êtes dans votre carrière ? » Quelque chose que j'ai réalisé aussi, c'est que ce que je vis est unique, mais nous avons tous une expérience commune en tant qu'immigrants. N'ayez pas peur de tendre la main !
vous voulez d’autres ressources carrière en tant que personne nouvellement immigrée ?
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